Gaza
Un conflit mortel aussi pour les journalistes

Dès les premières heures du conflit, la FIJ rappelait au monde une vérité douloureuse : “la guerre de la communication est intense et chaque camp défend sa vérité”. Interdits de travailler dans la bande de Gaza – qui n’est autre qu’une gigantesque prison à ciel ouvert pour les civil·es palestinien·nes – de nombreux journalistes étrangers utilisent trop souvent des sources secondaires ou les sources “officielles” de chaque camp, sans pouvoir en vérifier la véracité.

Au cours des trois dernières semaines d’octobre, une trentaine de journalistes ont perdu la vie, alors qu’ils étaient en reportage dans la bande de Gaza. Le conflit, qui a fait des dizaines de milliers de victimes, touche aussi les professionnel·les de la presse.

Pour la Fédération internationale des journalistes (FIJ) – une organisation basée à Bruxelles, en Belgique, qui regroupe plus de 600’000 journalistes de 146 pays – il est essentiel que les protagonistes de ce nouveau conflit respectent le droit à l’information .

Membres de l’Union palestinienne des journalistes affiliés à la Fédération internationale des journalistes à Naplouse, début octobre. Photo Zain Jaafar_AFP_IFJ website

“Respecter la sécurité des journalistes à Gaza”

Lors de sa récente visite en Suisse, le journaliste français Anthony Bellanger, actuel secrétaire général de la FIJ, a fait suivre, depuis Berne, Lausanne et Genève, l’appel lancé par la FIJ le 13 octobre dernier à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), laquelle traite également des grandes questions liées à l’information. “Les professionnels des médias dans les zones de conflit armé doivent être traités et protégés comme des civils et pouvoir exercer leur métier sans interférence”, a déclaré Monsieur Bellanger.

Anthony Bellanger, secrétaire général de la FIJ, a rencontré le 31 octobre à Berne Stephanie Vonarburg, vice-présidente du syndicat suisse des journalistes SYNDICOM. Photo syndicom

Il y a quelques jours, la FIJ a exhorté les protagonistes du conflit à “faire tout leur possible pour protéger les journalistes et les professionnels des médias”. Elle leur a rappelé que “ce conflit suscite un vif intérêt (et une grande inquiétude) dans le monde entier, mais que les gens ne comprendront ce qui se passe réellement que si les journalistes sont autorisés à faire leur travail”.

Selon l’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières, Israël “étouffe le journalisme à Gaza”. Son secrétaire général, Christophe Deloire, a condamné le blocus médiatique qu’Israël tente d’imposer et a déclaré que “le journalisme est l’antidote à la désinformation qui se répand avec une force particulière dans cette région”.

Le travail journalistique à Gaza est entravé par l’insécurité croissante. Photo France 24

Face à la situation dramatique des femmes et des hommes journalistes au Moyen-Orient, la FIJ vient de publier le 2 novembre une nouvelle prise de position, signée par plus de 70 de ses syndicats et associations membres de tous les continents. Elle réitère sa “profonde inquiétude quant au sort de tous les journalistes et travailleurs des médias qui couvrent le conflit”. Elle note que cette situation est devenue plus pressante “suite à l’annonce faite par Israël le 27 octobre que la sécurité des journalistes à Gaza n’était pas garantie”.

“Nous rejetons cette politique et exigeons que les ministres et les commandants militaires israéliens respectent le droit international”, souligne la FIJ, qui rappelle que depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier, au moins 27 journalistes palestiniens, quatre israéliens et un libanais ont été tués et que de nombreux autres (palestiniens et israéliens) sont blessés ou portés disparus à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Le 27 octobre, Israël a informé l’AFP et Reuters qu’il ne pouvait pas assurer le travail des journalistes à Gaza. Photo Mohammed Abed, AFP, site de la FIJ

Dans son communiqué, la FIJ appelle Israël “à se conformer pleinement au droit international humanitaire et à la législation internationale des droits humains et à agir pour empêcher tout crime relevant du droit international, y compris les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide, ainsi que l’incitation à les commettre”. Elle rappelle que l’article 79 de la Convention de Genève stipule que “dans les zones de guerre, les journalistes doivent être traités comme des civils et protégés comme tels aussi longtemps qu’ils ne participent pas aux hostilités”. La FIJ exige le respect de cet article, dont la violation constitue un crime de guerre. Elle demande la normalisation des systèmes de communication à Gaza. En particulier, l’accès à Internet, qui est souvent indisponible, ce qui “viole le droit humain fondamental de chercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées par quelque moyen d’expression que ce soit et sans considération de frontières”.

Une guerre de l’information

La publication du nombre de victimes et l’impact du conflit font partie de cette guerre dans la bande de Gaza, qui est déjà aussi dramatique que globale. Le président américain Joe Biden est lui-même intervenu dans la controverse sur la véracité des données relatives au nombre de morts et de blessés. La guerre de l’information inhérente à ce conflit s’est déjà installée et, sans journalistes sur le terrain, les sources exactes et la diffusion d’informations objectives s’évanouissent.

Le dernier lundi d’octobre, les Nations Unies ont rapporté que “alors que l’aide indispensable commence à arriver à Gaza, la guerre de l’information factuelle s’intensifie à travers les médias sociaux qui alimentent des récits contradictoires sur la situation”.

Les principaux quartiers de Gaza ont été détruits par les bombardements et les attaques israéliennes. Photo Mohammed Hinnawi, UNRWA

ONU Info a déclaré que “au lendemain des attaques du 7 octobre du Hamas contre Israël, des informations erronées et préjudiciables continuent de circuler sur le conflit en cours, ce qui pourrait avoir des conséquences dangereuses sur le terrain”. Il a souligné la nécessité de disposer d’informations véritablement authentiques : “Si la désinformation peut résulter de la diffusion accidentelle de fausses informations, elle peut également résulter d’une diffusion intentionnelle par des acteurs étatiques. Dans le cas d’un conflit armé, par exemple, afin d’influencer l’opinion publique ou la politique, elle peut affecter tous les secteurs, depuis la paix et la sécurité jusqu’à l’aide humanitaire”.

Alors que le monde entier avait les yeux rivés sur le poste frontière de Rafah, en Égypte, les images des convois chargés d’aide humanitaire qui ont finalement pu entrer à Gaza ont inondé les médias sociaux à partir du 22 octobre. Dans le même temps, selon ONU Info, les fausses informations se sont multipliées sur le contenu des camions et sur la manière dont l’aide arrivait à destination: une enclave assiégée de 363 kilomètres carrés où vivent 2,3 millions de personnes, dont 1,4 million sont déplacées par les hostilités.

L’ONU a donné des exemples de mensonges diffusés comme des informations véridiques. Entre autres, qu’elle et certaines de ses organisations subsidiaires dans la région, comme l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugié·es de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), “vendaient des sacs de blé à des prix exorbitants à Gaza”. Rien n’est moins vrai, puisque l’UNRWA continue de fournir du pain aux personnes déplacées et a distribué gratuitement de la farine de blé pour stimuler la production dans quelque 16 boulangeries. L’UNRWA soutient les réfugié·es palestinien·nes depuis 1950 et reste la principale agence d’aide humanitaire des Nations unies à Gaza. Pour sa part, le Programme alimentaire mondial (PAM) a obtenu de la farine gratuite pour 23 autres boulangeries dans la zone de conflit.

“Les mensonges voyagent beaucoup plus vite que les faits réels”, a récemment déclaré Melissa Fleming, secrétaire générale adjointe à la communication globale des Nations unies. “Une fois de plus”, selon Madame Fleming, “le brouillard de la guerre favorise la propagation de la haine et des mensonges sur l’internet, ce qui conduit à des erreurs dangereuses ayant des conséquences réelles en temps réel”. La haute fonctionnaire de l’ONU note que “à cet égard, les discours de haine et la désinformation, déjà très répandus, inondent les médias sociaux, faussant les perceptions et augmentant le risque de nouvelles violences”. Elle souligne “l’importance de s’informer auprès de sources fiables et de redoubler d’efforts pour veiller à ce que les Nations unies imposent leurs propres barrières contre la diffusion de contenus préjudiciables”.

Photo World Food Programme

Pour contrer la désinformation et promouvoir ce que l’ONU appelle “l’intégrité de l’information”, ses agences interviennent pour fournir des faits exacts et corriger les “fake news”, en s’engageant directement avec les médias et en rendant compte sur leurs plateformes numériques de ce qui se passe sur le terrain à Gaza.

L’éthique avant tout

Le 19 octobre, douze jours après le début du conflit à Gaza, la FIJ a rappelé aux journalistes en général et à ses membres en particulier la nécessité de respecter les principes professionnels affirmés par la Charte mondiale d’éthique des journalistes.

Charte mondiale d’éthique des journalistes

 

“Informations non vérifiées, vidéos sans sources et images issues des médias sociaux : la guerre entre le Hamas et Israël est aussi une guerre de communication”, a récemment dénoncé la FIJ, réitérant que les principes professionnels du journalisme doivent être pleinement respectés. “Le devoir du journalisme, a-t-elle souligné, est de fournir des informations dans l’intérêt du public”.

Dès les premières heures du conflit, la FIJ rappelait au monde une vérité douloureuse : “la guerre de la communication est intense et chaque camp défend sa vérité”. Interdits de travailler dans la bande de Gaza – qui n’est autre qu’une gigantesque prison à ciel ouvert pour les civil·es palestinien·nes – de nombreux journalistes étrangers utilisent trop souvent des sources secondaires ou les sources “officielles” de chaque camp, sans pouvoir en vérifier la véracité. Selon la FIJ, “cela se fait au détriment du public, dont l’un des droits fondamentaux est d’être bien informé”. Aucun autre conflit des temps modernes, conclut la FIJ, n’a été aussi meurtrier que celui-ci pour les travailleuses et travailleurs des médias et les journalistes.

Sergio Ferrari depuis Berne pour La Pluma

Edité par María Piedad Ossaba

Original:Gaza asfixiada informativamente
Un conflicto letal también para los periodistas

Traduit par Rosemarie Fournier*

*Rosemarie Fournier est une bibliothécaire-enseignante suisse. Elle a travaillé plusieurs années en Amérique latine (Bolivie et Nicaragua) pour la coopération au développement, avec l’ONG E-CHANGER. Elle collabore régulièrement avec le journaliste Sergio Ferrari, traduisant ses articles en français.